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La poussière des étoiles                                                                                         

Un hangar grand comme un paysage industriel, dans lequel on entre en sinuant entre d’énormes blocs de marbre et toute une machinerie pour tailler la pierre. C’est là, au cœur minéral des carrières de la Vallée Heureuse d’Hydrequent que le sculpteur Gérard Ducouret a installé son antre. Vaste atelier où se côtoient les outils, les projets et les œuvres en attendant d’être montrées. Rapport à la carrière qui l’habite, les sculptures de Ducouret sont tout à la fois des vestiges de la terre et des restes de l’histoire industrielle. On est devant un art transculturel hérité de l’esthétique de la nature et traversé par tout le baroque contemporain. Ses œuvres polymorphe sont inspirées par le lieu, l’exploitation du marbre dans les carrières et sa transformation dans l’usine
Il y a des sculptures du land art, ce que l’artiste appelle « des pierres capturées pour être ensuite domestiquées et exposées dans les villes comme des trophées de chasse ». Ce sont des formes telluriques issues du sol, mais qui semblent toujours prêtes à y retourner. Des formes engagées dans un endroit donné, des témoins du lieu où elles sont produites et de l'endroit où elles sont installées. Tout autant objets à voir qu’espace à vivre…
Il y a aussi des œuvres qui ont l’air de provenir d’une fouille, une sorte d’archéologie industrielle, avec des imbrications de matériaux hétéroclites qu’on dirait scellés par le temps. Il s’agit de confrontations entre la pierre et l’acier, où le granit et le marbre s’opposent aux chaînes et aux boulons. Ceux-ci sont des objets récupérés, des épaves de notre ère dont l’assemblage compose des machines imaginaires à tailler le roc. A la fois survivant acharné des âges de la main et deus ex machina de ce temps des forgerons, Gérard Ducouret opère sur la mémoire du travail humain, sur ce temps de la mémoire qu’est le présent lequel est aussi celui des prophéties.

Une archéologie d'aujourd'hui
Il y a encore les faux fossiles, un bestiaire onirique extrait d’une paléontologie imaginaire. « La pierre est le produit de formes de vie disparues et mes sculptures veulent leur redonner la vie sous forme imaginaire ». Ces œuvres ne représentent pas ce qui a disparu, elles le rappellent. On se retrouve devant une figuration archaïque qui est une figuration archaïque qui est une affirmation de la croyance animiste et la réponse à la question de savoir si les objets inanimés ont une âme. Toutes ces formes organiques venues des profondeurs du sol et de l’inconscient sont marquées par l’idée de dégager l’esprit de la matière et par la relation instinctive au monde . Ici, la taille directe, très utilisée dans les anciennes sociétés religieuses, et le contact physique de l’artiste avec son matériau correspondent à un désir de redonner une valeur spirituelle à la sculpture. Mythologie du geste et de la vitalité. Fascination pour le minéral, les marbres blancs et le Carrare, le noir de Soignies, la pierre de Marquise, avec parfois des incursions dans la dureté d’un granit. Jeu d’opposition entre le brut de la pierre et le fini du polissage, entre le rugueux et le lisse : la lumière glisse sur le poli pour s’accrocher aux entailles du burin, ces incidences plastiques interrompant la ligne trop parfaite des formes et animant les surfaces .Contraste avec la sensualité de la pierre polies appelant la caresse de la main, et des formes vulvaires ou en érection.
Il y a enfin toute la statuaire publique (fontaine, observatoire, pierre dressées…), des monuments érigés tels des objets emblématiques pour un culte mystérieux, Gérard Ducouret y reprend les thèmes des mégalithes, ceux des pyramides antiques et des menhirs du panthéon celte, dans leur lien avec le cosmos. Ces sculptures chamanistes, conçues pour un rite communautaire, donnent vie à tout un espace social. Ces pierre sacrée qui parlent aux hommes et au ciel, ces totems modernes autour desquels s’accomplit la danse du regard, sont faits de la poussière des étoiles, le matière même de l’éternité.
 

Fernand Rolet